Les armes du vice-roi by Camille Bouchard

Les armes du vice-roi by Camille Bouchard

Auteur:Camille Bouchard [Bouchard, Camille]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Jeunesse
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


La marée me baignait jusqu’à un pas derrière quand je réalisai être assis sur le sable, entouré de crabes. Le soleil avait eu le temps de parcourir tout l’espace qui le séparait du sommet de la mangrove pendant que les rouleaux de mer se gonflaient du revif.

Je me relevai avec lenteur, étonné du mouvement de mes jambes et de mes bras, comme si mon esprit les observait de l’extérieur de mon corps. Je n’avais point sentiment de diriger mes membres ainsi qu’on ordonnerait à quelque serviteur, quelque page, d’effectuer pour nous une tâche qui nous importune.

Je savais Anahi repartie depuis belle heurette déjà, pourtant je ressentis une brûlure à la hauteur de la poitrine lorsque je m’avisai du tronc vide. Carcasse lumineuse de sel, arquée sur les trois branches tordues qui en composaient les assises, l’arbre figurait la chute et l’abandon vers lesquels glissaient mes rêves naïfs d’adolescent.

— Cet enfant qui naîtra de mon ventre portera en lui le sang de l’esclave de mon père.

La voix d’Anahi se percevait toujours, portée sur les ondoiements de l’air, soufflée et ramenée, ainsi que les prières murmurées en un cloître ne parviennent onques à s’en échapper tout à fait. Il me la semblait ouïr venant des falaises du levant, lisse et flûtée, ou de la ramée de la forêt, effervescente et chaude, ou encore d’aussi loin que des racines des palétuviers qui enjambaient la mer au ponant, chantante et harmonieuse.

— Et cet enfant, s’il naît fille, sera esclave aussi ; s’il naît fils, sera sacrifié et mangé sitôt sera-t-il homme.

C’est à ce moment qu’elle s’était levée pour se rapprocher de moi. Je lui tournais le dos, ne l’avais point ouïe, mais avais bien respiré ce parfum qu’elle fleurait si grisant. Sans doute espérait-elle que je me retournasse afin de lui ouvrir les bras, de lui offrir le havre réconfortant de ma poitrine.

Je ne le pouvais point. Trop d’aigreur suscitée par sa condition, par ce que je considérais toujours ainsi qu’une trahison, trop d’éclats coupants de mes rêves fracassés m’interdisaient compassion et pardon. J’inspirai profondément et retins mon respire afin de cesser de humer cette fragrance qui me faisait perdre maîtrise de moi.

En une dernière sentence qui se voulait à la fois supplique et détresse, affirmation et fermeté, elle avait lancé :

— Lionel, je ne veux point perdre mon bébé !



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